L’Ascension du Grand Paradis restera gravé dans ma mémoire comme mon premier 4000m. Haleter, souffler, sentir, vibrer, trembler, la montagne possède le pouvoir de vous faire sentir vivant. Même au cœur de l’orage, sous la pluie et dans la brume, la montagne reste majestueuse. Elle n’en reste pas moins dangereuse… Les “abeilles” au sommet rappellent en renfort notre humilité ! Je vous emmène sur les pentes du Grand Paradis.
Parc National du Grand Paradis
Le Grand Paradis est considéré par beaucoup comme le 4000m le plus facile et le plus accessible des Alpes.
Le Grand Paradis fut conquis en 1860 par John Jermyn Cowell, W. Dundas, Michel-Ambroise Payot et Jean Tairraz en plein âge d’or de l’Alpinisme. Sans difficulté majeure, il faut cependant garder en mémoire que nous nous trouvons en haute altitude. La météo peut changer d’une minute à l’autre compliquant ainsi les opérations. C’est ce que vous découvrirez d’ailleurs dans le compte rendu de mon ascension ci-dessous.
Le Grand Paradis (4061m) est le plus haut sommet et le seul 4000 du Parc National du Grand Paradis.
Ce parc était à l’origine un réserve de chasse royale créé en 1856 par Victor-Emmanuel II afin de protéger le bouquetin qui était à l’époque en voie de disparition. En 1922, cette réserve de chasse deviendra le premier parc national italien. Le Parc national du Grand Paradis suscitera en 1963 la création de son pendant français, le Parc national de la Vanoise. Les deux parcs forment ainsi réuni le plus grand espace protégé d’Europe occidentale.
De fait, dès votre arrivée dans le Parc, vous pourrez facilement observer la faune sauvage : marmottes, chamois, bouquetins ainsi que des rapaces dont l’Aigle royale. Quoi de plus normale dans une ancienne réserve royale ? 😉 Mais plus surprenant encore, le Parc national du Grand Paradis a vu également vu réapparaître le loup et c’est sans compter sur le renard que nous avons surpris au refuge Vittorio-Emmanuele II à 2737m !
Montée au refuge
Après une soirée et une nuit à Chamonix, nous arrivons dans le Val d’Aoste. Cette vallée reste pour moi tellement mythique avec son Tor des Géants. Vous savez cette course de trail parmi les plus dures du monde. Cette course en Val d’Aoste est tout simple gigantesque puisque ce ne sont pas moins de 330km et 24000m de D+ que les 660 concurrents doivent parcourir en moins de 150 heures ! Autant vous dire que la vue de ces montagnes vous donnent des frissons !
Le rendez-vous est donné à Pont dans la vallée de
Vers le refuge
Nous sommes 12 à nous perdre dans les montagnes du Parc National du Grand Paradis dont 9 à tenter le sommet. On provient presque tous du groupe d’entraînement “trail” MyRun. Pour l’occasion, cela sera davantage MyMountain qu’autre chose ;). La première étape de notre aventure consiste à atteindre le Refuge Victor-Emmanuel situé à 2732 mètres d’altitude où nous passeront 3 jours afin de nous acclimater et tenter l’ascension.
Bardés de tout notre matériel, nous nous élançons sur le magnifique sentiers menant au refuge. Peu technique, il a l’avantage de rapidement quitter la végétation pour offrir une vue dégagée sur le cirque fermant la vallée et sur les sommets de plus de 3000m qui la domine. Le paysage est magnifique.
Les sommets de plus de 3500mètres, Tresenta, Ciarforon et bec de Montchair, se dresse comme les vigiles d’un autre temps.
Le Refuge Victor-Emmanuel II
Au milieu de ces montagnes, le Refuge Victor-Emmanuel II est un point de repaire inégalé. Entièrement couvert de tôle argentée, il reflète le soleil et devient un petit bijou logé dans un écrin tout aussi majestueux. Le refuge date de 1961 et remplace l’ancien de 1884 qui est juste un peu plus haut. Il dispose de 170 lits répartis dans différentes chambres et dortoirs. Il sera notre camp de base pendant 3 jours.
Sans réseau
Arrivé au refuge, grosse surprise, pas de réseau, rien, nada, que dalle !
Nous allons vivre pendant 4 jours complètement coupés du monde. En tant que blogueur – ce n’est un mystère pour personne – je suis ultra-connecté. En effet, je ne fais que vanter les bienfaits de la nature, de la montagne et de l’aventure… Bref, la déconnexion. Or, pour vous les partager, je dois être connecté. Le blogueur est paradoxal. Une chose est sure. Cette coupure m’a fait le plus grand bien.
Le Col de Moncorvé
Après une soirée festive et une courte nuit, il était prévu de faire l’ascension de la Tresenta afin de s’acclimater, et d’effectuer une école des glaces avant l’objectif final. Malheureusement, au réveil, les prévisions météos avaient bel et bien raison. C’est le déluge, il pleut à verses. Quand nous nous levons à 7h00, les cordées parties quelques heures plutôt pour tenter l’ascension du Grand Paradis reviennent détrempées et transies par le froid mordant.
La météo était pessimiste et prévoyait ce temps toute la journée. Heureusement, vers 9h, un coin de ciel bleu transperce le ciel. Une heure plus tard, il fait magnifique et nous partons en direction du col de Moncorvé qui nous conduira à la Tresenta à 3609mètres. La marche d’approche se fait dans un décor minéral à couper le souffle. Le soleil joue à cache-cache avec les nuages. Quand nous nous encordons afin d’atteindre le col, le vent se lève, drainant avec lui des nuages menaçant.
Au fur et à mesure de notre ascension, la météo se dégrade et, à peine a-t-on le temps de casser la croute au col, que nous devons abandonner nos plans de sommet et redescendre. La neige s’abat sur nous mais la luminosité reste étonnamment présente malgré les nuages sombres. Les contrastes sont absolument époustouflants et excuse bien vite la pluie drue qui nous suivra durant toute la descente vers le refuge.
L’ascension du Grand Paradis
Les prévisions pour le samedi, jour prévu pour l’ascension du Grand Paradis, sont mauvaises. La dernière mise-à-jour météo la veille au soir fait état d’une journée orageuse avec très peu de chance d’accalmie, tout au plus quelques heures très tôt le matin. On saute sur cette promesse météo pour fixer le départ à 4h30 du matin.
Après une courte nuit et un déjeuner franchement pas copieux, nous voilà tous prêt pour en découdre. Nous allumons tous notre frontale et nous sortons. A peine a-t-on mis un pied dehors qu’il commence à pleuvoir. Tout le monde se regarde. Que fait-on ? Nous sommes les seules à partir maintenant. Vincent, notre guide, prend la décision de continuer.
Marche d’approche
Il fait froid, il pleut, il fait nuit noire. Les rochers sont glissants et pourtant je souris. Je souris car ces conditions me font penser à celle du départ de la Bouillonnante 2016. Ici, ce n’est pas 75 bornes à travers la forêt ardennaise mais 1300m de D+ qui doit nous mener à plus de 4000mètre. L’excitation est la même. J’aime la montagne.
La marche d’approche se fait à un bon rythme. J’oserais même dire qu’elle se fait à un rythme d’enfer. Le but est de perdre le moins de temps possible. Au fur à mesure que nous avançons dans ce pierrier chaotique et infernale, la pluie s’amenuise jusqu’à disparaître. Je me souviens qu’au milieu d’une moraine en arête, j’ai regardé le ciel. Il s’était déchiré et laissait apparaître la lueur blafarde de la lune. Miracle ! Les dieux seraient-ils avec nous ?
Baigné par la blancheur diaphane de la lune, nous avançons dans une partie plus technique toute en dévers de la moraine. J’adore. Ça glisse, ça dérape, c’est pentu. Je prends mon pied. J’ai toujours aimé les parties techniques comme ça. Je sais que d’autres aiment moins ^^. Au loin, nous apercevons déjà une cordée sur les pans du glacier tandis que d’autre nous talonnent.
Ascension
Alors que nous nous encordons, le vent se lève et nous glace les os. On s’apprête au plus vite afin de redonner un peu de chaleur à nos corps refroidis. Les premiers pas dans la neige sont toujours exaltants. La nuit l’a bien durcie. Cela facilite l’avancée. Nous évoluons à trois cordées. Je suis en tête de la seconde.
En route vers le sommet !
J’essaie de fixer un bon rythme afin de ne pas nous faire trop distancer par la première cordée et perdre le moins de temps possible. Malheureusement, je ne m’imaginais pas qu’être premier de cordée demandait autant d’efforts. Erreur du débutant, j’ai calé un rythme trop élevé. Résultat, je me retrouve régulièrement à tirer la corde. J’aurais du mieux évaluer le rythme de mes camarades plutôt que m’épuiser à tirer.
Le ciel est dégagé. J’en viens presque à me dire qu’on aura une vue complètement dégagée au sommet ! Au loin, il y a bien quelques nuages mais le vent est déjà retombé. On peut profiter d’un paysage aux allures de fin du monde. Les vallées sont bouchées par les nuages. Au loin, on aperçoit quelques trouées de ciel bleu tandis qu’à l’ouest les nuages grossissent à vue d’œil.
Au fur et à mesure de l’ascension, ils arrivent sur nous et nous avalent par intermittence dans une brume dense. Pour le dernier coup de cul menant au sommet, j’abandonne le piolet pour les bâtons. Le temps s’éclaircit de nouveau alors que nous passons la barre des 4000 mètres. J’aperçois alors la Vierge. Notre objectif final. La première cordée du groupe s’y trouve déjà.
La Vierge
Il ne reste que quelques mètres sur une corniche avant d’attaquer la phase finale et rocheuse de cette ascension du Grand Paradis. Je dépose mes bâtons et reprend le piolet. Quelques passages sont légèrement exposés et il faut regarder à bien assurer des points d’ancrages sûrs. Ce passage un peu plus technique (où il faut poser les mains et s’aider du piolet) m’a vraiment fait “kiffer”. J’ai adoré ! Je ne sais pas si tout le monde est du même avis mais j’ai hâte de faire des sommets plus techniques.
La Vierge se rapproche encore. Un nuage s’abat sur nous. Des flocons tombent. La visibilité se réduit. Pourtant, il ne manque plus que quelques mètres pour atteindre cette vierge blanche qui nous nargue. Elle est là. A bout de bras. Je peux presque la toucher. Mais, la cordée qui nous précède nous exhorte de redescendre au plus vite. Manu militari, nous nous exécutons. A quelques dizaine de mètres près…
Les abeilles
Alors que j’entreprenais la descente, un guide passe à côté de moi et me dit :
Les abeilles bourdonnent, redescendez au plus vite !!
Les abeilles bourdonnent ? Les abeilles bourdonnent ? Je ne comprenais pas et n’avais pas envie de comprendre à la vue de sa précipitation. De fait quelques instants plus tard, des vibrassions se font ressentir et l’air s’emplit d’un bourdonnement sourd qui me rend fou !
Si j’avais lu Premier de Cordée de Frison-Roche, j’aurais été plus terrifié que ce que je n’ai été…
Entends-tu Georges ? Les abeilles…entends-tu, les abeilles bourdonnent ! Vite ! partons ! La foudre est sur nous…
Comme ils atteignaient un petit mur vertical de huit à dix mètres, l’air vibra très doucement, comme au passage d’un fluide ; les vibrations s’amplifièrent et ce fut à nouveau le bourdonnement d’un essaim, le chant des abeilles !
En entendant pour la seconde fois le bruissement mortel, les deux guides pâlirent sous le hâle ; ce bruissement, ce bourdonnement, c’était à nouveau l’indice formel d’une extraordinaire teneur en électricité statique…
Extrait de Premier de Cordée de Frison-Roche
Je ne comprends pas l’obstination de certaines cordées à monter malgré l’orage. Car oui, il s’agit bien de cela. Nous sommes en plein orage. Cela peut tomber à tout moment et nous pouvons être le paratonnerre de la cordée. J’avoue qu’avec mon mètre nonante deux, je pars largement perdant à ce jeu là. 😀 Nous redescendons rapidement et l’orage s’éloigne parallèlement à notre progression. La neige continuera cependant à nous suivre jusqu’à la moraine.
Retour au Refuge
Sur la fin, la neige était une véritable granita glissant et humide. On en profite pour accélérer la cadence et glisser à gauche et à droite pour descendre le plus vite. Le retour vers le refuge sera plus rapide car nous empruntons une langue de neige descendant bien plus bas que la moraine que nous avons emprunté le matin. Le Refuge est en vue, la Birra Moretti également ;). La météo nous aura donner des ailes car nous bouclons la presqu’ascension du Grand Paradis (du refuge au refuge) en 6h25 :
Mes impressions
Pour cette deuxième incursion en haute montagne, nous n’avons pas été épargné par la météo. Mais bon, toutes les ascension ne peuvent pas se faire sous un ciel bleu et sans anicroche. Cette expérience à 4000 mètre n’a fait que renforcer le respect que j’ai pour la montagne et ceux qui y travaillent. La Montagne est belle. Je dirais même qu’elle est magnifique. Elle n’en demeure pas moins dangereuse voire mortelle.
Paradoxalement, cette dichotomie entre la magnificence des cimes et leur danger m’attire irrémédiablement dans une forme coordonnée de passion et d’humilité…
Malgré des conditions dantesques voire dangereuses, l’ivresse des cimes a encore frappé et je décompte déjà les jours où je pourrai à nouveau fouler les neiges éternelles quand l’éther s’amenuise et le souffle court nous rappelle notre limite humaine !
Cette ascension du Grand Paradis était aussi et surtout une expérience de groupe. Certes, nous n’avons pas atteint le sommet mais nous avons vécu des événements qui nous lient définitivement. Nous sommes et resterons encordés par les souvenirs extraordinaires que nous avons vécus ensemble sur les pentes de la montagne (mais aussi au refuge 😉 )!
Merci à Sylvain, Martin, Sabine, Céline, Thibaut, Johanna, Aurélie, Julien, Fred et Vincent pour cette magnifique expérience à 4000m !
Vidéo :
Alors seriez-vous tentés par l’ivresse des cimes ?
Très belle photos de paysage, merci pour ce partage d’expérience
Bonjour,
Vous avez fait l’ascension avec un guide (si oui quel guide/Cie) ou en solo ?
trés chouette ce descriptif
Hello Antoine, je ne l’ai pas fait avec un guide mais j’étais accompagné par des militaires qui avaient la formation. Je te conseille fortement de le faire avec un guide qui connait la montagne !
Merci Julien pour ta réponse